Benoît n’est pas un marketer, mais sa remarquable action en faveur de l’Expérience Client chez Michelin peut être considérée comme un modèle à suivre pour tous les professionnels. Un succès qui repose sur une vision sans concession des pratiques de relation client – quitte à casser certains dogmes bien ancrés. 

Marketing ZERO – Michelin est une entreprise industrielle, un secteur où l’expérience client n’a pas la même prépondérance que dans d’autres secteurs d’activité, comme la grande conso ou le luxe. Pourtant, Michelin est régulièrement citée pour ses initiatives CX et tu es considéré comme une « voix » dans ce domaine. Comment l’expliques-tu ?

Benoît Rengade – La parole du client détient un pouvoir considérable, celui d’accélérer la transformation de l’entreprise. J’ai été commercial puis Directeur des Ventes chez Michelin pendant des années. Depuis le terrain, quand j’observais un dysfonctionnement, si je le remontais aux directions concernées, je n’observais que rarement une réaction. Depuis que je suis Directeur de l’Expérience Client, je fournis aussi souvent que possible au Comex le compte-rendu d’échanges avec tel ou tel client, puis je le diffuse en interne. Sans rien omettre de son mécontentement, y compris dans sa formulation parfois très directe. L’impact est alors immédiat. On me dit parfois : « Ton dernier rapport a fait l’effet d’une bombe. » Les histoires des clients que je raconte ont le mérite d’accélérer la transformation de l’entreprise, de façon que les décisions soient prises non pas en fonction d’un processus interne, mais à partir de ce que pensent les clients.

Mais n’est-ce pas le cas dans toutes les entreprises ? Ne disposent-elles pas de statistiques sur le niveau de satisfaction de leurs clients ?

Les statistiques sont nécessaires mais absolument pas suffisantes. Si je me contente d’expliquer en interne que le pourcentage de clients insatisfaits a augmenté sur telle dimension, ou que le NPS est seulement de 15, j’obtiens une réaction molle. Si en revanche je présente un verbatim client, avec quelques mots choisis, mon public réagit de façon beaucoup plus vive. Et si je passe une vidéo où le client exprime factuellement les raisons de son mécontentement, l’effet est encore plus sensible. L’idéal, bien sûr, c’est de parvenir à mettre le client en face des directeurs et managers, parce qu’ils ressentent alors directement la charge émotionnelle portée par leur interlocuteur, et je le fais le plus souvent possible, par exemple en invitant le top management à faire régulièrement des « close the loop » avec des détracteurs, ou en invitant un client à s’exprimer devant un groupe de directeurs. Cela produit souvent un électrochoc. C’est cette charge émotionnelle qui tire l’action. 

Quelle méthode as-tu mise en place pour assurer la meilleure expérience possible aux clients Michelin ?

Elle est issue de nombreuses discussions avec mes confrères dans d’autres entreprises, mais aussi avec Fred Reichheld et Rob Markey. Je l’ai construite sur 4 axes : Listen, Act, Mobilize et Maintain.  

Listen : l’écoute des clients est le commencement et la fin de tout. Il faut se mettre en capacité d’écouter le client quel que soit le canal qu’il utilise pour s’exprimer.  J’ai une sorte de mantra, une question que je répète à chaque fois qu’un collaborateur me soumet un plan d’action, dans quelque domaine que ce soit : « Et le client, il en pense quoi ? » Je la répète si souvent que mes collègues s’en amusent. Mais aussi, qu’ils la retiennent. 

Act : si un client exprime un avis négatif, on doit réagir sans tarder. Mon rôle est d’une part de veiller à identifier les commentaires négatifs le plus vite possible, puis d’aider les opérationnels, qui sont les plus légitimes à répondre, à le faire vite et bien. 

Mobilize : de façon analogue aux « huddles » de Bain&Co, nous avons créé des Customer Rooms à tous les étages : territoire, région, Groupe. Elles réunissent ceux qui ont un impact sur l’expérience client, et sont chargées de traiter  des problèmes transverses les plus complexes, ceux que la front line ne peut pas traiter. Nous avons ensuite une Customer Room centrale qui se réunit chaque mois, à laquelle le COO participe systématiquement. Elle se tient dans un hall, au centre de l’entreprise, un lieu de passage où, chacun peut la voir. 

Maintain : au-delà des dispositifs et des messages, il y a des attitudes à mettre en place, une façon d’être, une attitude service qui n’est pas qu’une posture. Cet état d’esprit est le garant de la continuité de notre Expérience Client.

Parlons d’organisation. Traditionnellement, la CX dépend soit du marketing qui définit notamment les parcours clients, soit de la Relation Client en raison de l’importance du Centre de Contact dans l’expérience. Quelle est l’organisation retenue chez Michelin ?

Je suis rattaché non pas au marketing ni même aux ventes, mais à la Qualité. Ce qui me donne une certaine neutralité, avec en outre une culture de la rigueur dans la mise en place des dispositifs, et bien sûr du contrôle. Chez Michelin, la Qualité traditionnellement centrée sur le produit s’est réinventée pour traiter l’ensemble du parcours clients, et a été renommée Garantie de la Promesse au Client. C’est une transformation majeure.

Ce qui est significatif également de mon point de vue, c’est que Michelin a choisi, en me donnant la responsabilité de la CX, un profil commercial et non marketing. De mon point de vue, c’est un choix justifié car le marketing chez Michelin consiste essentiellement comprendre les attentes clients pour construire les offres. C’est donc une activité sur le temps long. Tu étudies un marché, tu écoutes une personne. Alors que l’expérience client s’inscrit sur du temps court : il y a un problème à régler immédiatement. Comme pour la vente… 

J’y vois un autre avantage. Paradoxalement, les commerciaux sont les plus rétifs à la CX parce qu’ils sont persuadés de connaître leurs clients. Comme je viens de la vente, je suis légitime pour leur expliquer que ce n’est pas forcément le cas. Si je leur demande : « D’après vous, quels sont les principaux sujets de préoccupation remontés par les clients ? », ils répondent que c’est la supply, a logistique ou la facturation… Alors que non, pas du tout : c’est la relation avec Michelin, le fait de se sentir écouté ou non, considéré ou non – voilà ce qui les préoccupe le plus. Ecouter un client exige de se mettre à sa place, donc de renoncer à ses propres convictions. Cette nécessaire remise en question constitue un exercice difficile, mais je peux aider les équipes parce que j’ai été à leur place, et ils le savent.

S’il y a effort, il faut qu’en face tu puisses présenter des résultats concrets. Comment mesures-tu les progrès accomplis par l’Expérience Client Michelin, et sur la base de quels objectifs ?

Depuis le début, je dis à mes équipes : « Le premier qui me dit que l’objectif est d’augmenter le NPS est viré. » Le seul objectif qui compte pour moi, c’est d’améliorer l’expérience des clients. Il ne faut pas confondre la température de la piscine avec le thermomètre ! On connait tous le moyen de faire monter le thermomètre sans que la température de l’eau augmente… Je te donne un exemple : le taux d’engagement des employés envers l’entreprise. Nous le mesurons au travers de quelques questions déclaratives auxquelles, comme on peut s’y attendre, chacun se met la note maximum et répond ce que l’entreprise a envie d’entendre. Et comme le taux est bon, les managers ont tendance à se dire que les collaborateurs sont contents. Mais ce n’est pas du tout la même chose : vous pouvez avoir la chance d’avoir des employés engagés parce qu’ils aiment l’entreprise, mais dont l’expérience de travail est mauvaise.

Donc les objectifs chiffrés ne suffisent pas, surtout s’ils viennent de l’interne. « Ce qui ne se mesure pas n’existe pas », dit-on. J’ai l’intuition que c’est une erreur, comme celle que commet le fou qui cherche sa montre sous un lampadaire parce qu’il y a de la lumière, alors qu’il l’a perdue ailleurs. Le seul capable de nous dire quel doit être notre objectif d’amélioration, c’est le client. Chaque client va définir ce qu’il estime être une bonne expérience, l’un en se focalisant sur les délais de livraison, un autre sur la réactivité du service client par exemple. 

Ce qui implique de le lui demander dès le début de la relation et de créer un dashboard de suivi très complet mais aussi de le suivre dans la continuité. Voici un exemple. Un client important nous a commandé un nouveau type de pneu. On a compris qu’il fallait qu’il soit écologique, qu’il ait une faible résistance au roulement, mais aussi un bon grip, etc. En fin de compte, le pneu qu’on a réalisé pour lui collait parfaitement avec son cahier des charges … mais sa durée de vie était d’un tiers inférieure à la normale. Le client était évidemment insatisfait. On lui a donné la cerise sur le gâteau, mais pas le gâteau. Si on l’avait davantage inclus dans le processus de création, on aurait détecté bien plus vite ce problème et évité une perte de temps et d’argent, mais aussi une dégradation de l’image auprès de ce client. L’écoute client, ce n’est pas seulement au début et à la fin, mais de façon longitudinale.

Ce que tu décris, c’est un travail d’écoute de tous les jours et de traduction en actions concrètes. On est loin de l’effet wow, qui est pourtant décrit comme l’un des facteurs-clés de réussite de la CX ?

L’effet magique dans l’industrie, c’est la capacité à réagir rapidement. « Wow, ils sont rapides, chez Michelin. » Mais de toutes façons, je suis sceptique quant à la réelle efficacité d’un « effet ». Un effet s’émousse. Et s’il a bien fonctionné une fois, le client, l’attend à nouveau la fois suivante. Si on crée un effet de surprise, il faut régulièrement créer une nouvelle surprise. Ce n’est pas seulement artificiel, c’est usant. C’est du marketing de paillettes… et certainement pas dans la culture Michelin.

Je ne dirai donc pas que nous cherchons à faire vivre à nos clients une expérience enthousiasmante – on parle ici d’acheter un pneu – mais on peut s’arranger pour que ce soit une expérience agréable. Le client y est sensible, il en parle autour de lui. Par définition, l’expérience est une chose concrète. Dans ma signature d’email, il y a cette maxime de Steve Jobs : “Customers don’t measure you on what you tried, they measure you on what you deliver”. En matière de CX, on s’inscrit dans une obligation non pas de moyens, mais de résultats.

Lire l’interview de Bernard Richard-Canavaggio, directeur marketing et communication de Dekra : ici



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